La médaille d'argent remporté par Meb Keflezighi aux JO d'Athènes en 2004 marque le début d'une renaissance du marathon aux Etats-Unis. Aucun coureur américain n'avait fait aussi bien depuis Frank Shorter, à Montréal en 76. Au-delà de ce succès, il faut remarquer à travers cette médaille un triomphe de la résilience. Elevé dans un monde, où la pauvreté, la misère et la violence marquait son quotidien, l'histoire de cet athlète fait de lui un survivant : « J'ai vu et j'ai dû m'adapter à des situations difficiles. Et-ce que cela m'a rendu plus dur ? Oui, quelque part »
Mebrahtom Keflezighi est né à 24 km d'Asmara, la capitale de l'Erythrée, le 5 mai 1975 dans une famille de 10 enfants. Il a grandi sans eau courante, ni électricité. La première fois qu'il a aperçu une voiture, il s'est sauvé et face à un poste de télévision, il s'est demandé comment les gens pouvaient rentrer dans une boîte si petite. Ses tâches quotidiennes se résumaient à nourrir le bétail et à ramasser le bois mort, nécessaire à alimenter le feu. Faute de montre, il suffisait à son grand-père d'observer le soleil pour connaître l'heure.
Enfant, il a vécu et subi la longue guerre d'indépendance de l'Erythrée face à l'Ethiopie. Les combats ont touché sa famille. Son frère aîné et lui, au murmure des bruits de bottes et afin d'échapper à l'armée connue pour kidnapper et enrôler de force les adolescents, n'ont eu d'autres choix que de se cacher et de vivre la peur au ventre dans les champs environnant leur modeste habitation. Un jour, alors que Meb était à Asmara et bien que toujours enfant, il fut contraint et forcé de participer au retrait des cadavres d'un immeuble bombardé.
Suite à ces événements, le père de Meb, à dessein de sauver sa famille a décidé d'aller chercher meilleure fortune ailleurs. Dans un premier temps il a rejoint le Soudan à pieds, après 900 km de marche. Une fois sur place, il a retrouvé des membres de sa famille, qui vivaient dans ce pays et l'ont aidé à émigrer en Italie, à Milan, où la famille se réunira plus tard. Puis le 12 octobre 87, alors que Meb n'avait que 12 ans, nouveau départ direction San Diego.
Du fait qu'il maîtrisait mal l'anglais et n'arborait pas un look US, Meb inspirait la pitié et ses camarades de classe se moquaient de lui. Ses frères et lui ayant pris goût au football en Italie, il rêvait de devenir le nouveau Pelé.
Cependant à 19 ans, une fois étudiant à UCLA il a décidé de se spécialiser dans l'athlétisme. A 22 ans, il devint champion universitaire du 5000 mètres indoor, puis du 5000 et du 10000 sur piste. L'année 98 marquera un tournant dans sa vie. Son diplôme en poche, il décidera de prendre la nationalité américaine. En 2000, il remportera les trials sur 10000 mètres et décrochera ainsi son billet pour les JO de Sydney. Mais gêné par une grippe, il prendra la 12ième place en 27'53''63.
Le 4 mai 2001, il améliorera le record US du 10000, qu'il placera à 27'13''98. A partir de là, Meb décida de s'installer au centre de préparation olympique US, situé à Chula Vista, en Californie. Son entraînement comprenait pas mal de sortie en nature sur les pistes du Mont Mammoth, placé au cœur d'une région désertique, frappée par la chaleur. Toutes ses longues séances accomplies sur des parcours vallonné l'aideront à préparer des JO d'Athènes, où il rencontrera des conditions de course similaires. Hailé Gebresselassié le persuadera de continuer à s'entraîner en montagne. D'ailleurs il acquerra une maison à proximité du Mont Mammoth. Là, il rencontrera Deena Castor, futur médaillée de Bronze sur le marathon aux JO d'Athènes. Une fois ses longues séances de 32 km terminées, afin de favoriser la récupération et de prémunir ses muscles de toute inflammation, il prendra l'habitude de se baigner dans l'eau glacé d'un ruisseau.
En 2002, Meb à la recherche de nouveau défis décida de courir le Marathon de New York pour la première fois. Il aurait pu arrêter son choix sur celui de Chicago, plus rapide, mais fier d'être Américain, un peu plus d'un an après le 11 septembre, il tenait à manifester son soutien aux New Yorkais.
Il se lança dans cette aventure, sans même avoir couru un semi-marathon en compétition. Ce qui ne l'empêcha pas de finir 9ième en 2h12'35''. Il déclara alors dans la revue Marathon and Beyond : « J'ai couru là mon premier et dernier marathon ». Avant de se concentrer sur une distance à l'approche de l'échéance d'Athènes, fin 2002, désireux de se ressourcer il retourna en Erythrée, un pays qu'il avait quitté, 17 ans plus tôt.
Il n'imaginait pas être si célèbre dans ce pays, où à l'occasion d'une course cycliste, il avait été invité à conclure le dernier tour en courant. Une foule de plus de 60000 personnes hurlait son nom d'une même voix. Sur place, il retrouva des membres de sa famille qui avaient été blessés lors du conflit contre l'Ethiopie. « Souvent des gens me demandent de leur expliquer les contraintes qu'impliquent la pratique de la course à haut niveau. Je leur réponds qu'il ne s'agit pas de sacrifices, mais d'une question d'éthique, parce que les Erythréens savent ce que le mot sacrifice signifie. » Lors de ce retour en terre natale, Meb avait apporté plus de 50 t-shirts et 15 paires de chaussures destinés à ses proches : « Mais pour eux ces biens ne constituaient pas l'essentiel, car ils étaient avant tout ravis de me retrouver »
« Tout ceux qui connaissent Meb l'apprécie et ses proches sont adorables. Ses parents ont vraiment du mérite. Quand on apprend dans quelles conditions extrêmes, ils ont été capables d'élever leurs enfants, de les rendre aussi forts et de les amener à un tel niveau d'études. « C'est carrément incroyable » : Note Deena Kastor.
Décidé à courir le marathon des JO d'Athènes, Meb s'alignera auparavant à celui de Chicago en 2003. Il terminera en 2h10'03''. Lors de la préparation de la sélection US prévue le 07 février 2004 à Birmingham, Alabama, il a contracté une tendinite aux deux genoux. Puis vers Noël, il a de nouveau été touché par la grippe. Remis le jour J, il prendra la seconde place, 5 secondes derrière Alan Culpepper.
Au cours du Marathon des JO d'Athènes, au moment où il s'est retrouvé seul en tête avec l'Italien Stefano Baldini, Meb a préféré jouer la sagesse et assurer la médaille d'argent plutôt que de se lancer dans une confrontation incertaine et risquer de finir à la 4ième place. Second en 2h11'29'', 34'' derrière le Transalpin de Livourne, il s'exclamera : « Le running américain est de retour » Meb n'avait pas la faveur des pronostics. Parmi les participants, 38 possédaient des records supérieurs au sien et cette médaille est un peu apparue comme une surprise. Mais Meb aura ces mots : « Une surprise peut-être, mais pas pour moi. Mon objectif consistait bien à terminer dans les 3 premiers »
La même année, il tiendra à courir le Marathon de New York, prévu 3 mois après les JO. Quand normalement les athlètes évoluant au plus haut niveau estiment qu'il leur faut 6 à 7 mois avant de renouer avec une compétition d'envergure, il répondra aux sceptiques : « Est-ce que 70 jours suffisent à Meb pour récupérer ? On verra bien »
Une fois de plus Meb Keflezighi réitérera cette surprise des JO et pointera en seconde position, derrière le Sud-Africain Hendrik Ramaala et en profitera au passage pour hisser son record à 2h09'53''.
3ième à New York en 2005, Meb atteindra la plus haute marche de podium cette année, dans le temps de 2h09'15'', soit son nouveau record et deviendra également champion des Etats-Unis, puisque cet événement servait également de cadre au championnat national. Pour la première fois de sa carrière Meb a remporté un marathon. De la sorte 2009 correspond à son retour au plus haut niveau, car en 2008 en proie face à une série de blessures, il avait été contraint de renoncer aux JO de Pékin et n'avait pas pu défendre sa médaille d'argent. Pourtant en 2007, lors des trials organisés dans Central Park la veille du marathon, à peine la ligne d'arrivée franchie et la sélection assurée, Meb s'était écroulé en larmes, miné par le chagrin lié au décès récent de Ryan Shay, son compagnon d'entraînement : « Ryan était mon alter ego. Pour lui, je me dois de gagner le Marathon de New York une fois »
Mission accomplie et devoir de mémoire respecté. Depuis Alberto Salazar en 1982, aucun Américain n'avait remporté l'ING New York City Marathon.
(Source : Christophe Rochotte - www.runinlive.com)